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L’éducation et les rapports ethniques : Problématique  

 

En ce début du 21e siècle, la question des rapports entre groupes ethniques définis par leur origine commune ou diverses différences culturelles, linguistiques ou religieuses, réelles ou putatives, s’impose plus que jamais, notamment au sein des sociétés occidentales (Juteau, 2000). Alors qu’elles connaissaient souvent déjà une diversité de longue date liée à la présence de communautés autochtones ou de minorités nationales, celles-ci ont vécu depuis quelques années une importante diversification ethnoculturelle et « raciale » résultant, entre autres, de l’adoption de politiques d’immigration moins discriminatoires que par le passé, de l’intensification du mouvement des réfugiés ainsi que d’un contexte géopolitique caractérisé par l’augmentation des inégalités économiques (OCDE, 2003). La persistance, voire la résurgence de la variable « ethnicité » comme facteur explicatif des inégalités ou comme base de mobilisation identitaire et sociopolitique, ainsi que l’expansion de modèles plus égalitaires de relations internationales et de citoyenneté (Smith, 1981; Isin et Turner, 2002) ont aussi amené une délégitimation progressive des politiques traditionnelles d’assimilation forcée et de marginalisation au profit de divers modèles de prise en compte institutionnelle de la diversité (Touraine, 1994; Kymlicka, 1995). D’un point de vue théorique, ce « renouveau » ethnique est aujourd’hui largement analysé, en sociologie des relations ethniques, à travers la perspective dominante du constructivisme (Barth, 1969). Abordant l’ethnicité comme un phénomène dynamique, celle-ci s’intéresse aux conditions de maintien ou de fluctuation des frontières entre divers groupes et des marqueurs qu’ils utilisent pour légitimer leur spécificité, entre autres, à travers l’analyse de leurs inégalités réelles ou symboliques dans divers champs sociaux et de la confrontation de leurs intérêts.

L’ensemble de ces développements a eu des incidences importantes sur le système scolaire et sur l’ensemble des acteurs du monde de l’éducation. En effet, étant donné son caractère universel et l’ampleur de ses fonctions de transmission des savoirs de socialisation et de sélection dans les sociétés modernes (Ballantyne, 1989), l’éducation formelle, depuis son institutionnalisation au milieu du 19e siècle, a joué un rôle essentiel dans la reproduction ou la disparition des marqueurs linguistiques, religieux et culturels ainsi que dans l’intensification, le maintien ou la réduction des frontières socio-économiques ou identitaires. À cet égard, au risque de simplifier la complexité des réalités nationales, on peut globalement avancer qu’historiquement, la scolarisation s’est avéré un important et efficace instrument d’assimilation – et non d’intégration toujours égalitaire – des populations immigrées et de marginalisation des minorités involontaires (populations autochtones ou issues de l’esclavage), alors que les minorités nationales ont réussi, à des degrés divers, à l’utiliser partiellement à des fins de reproduction culturelle, religieuse ou linguistique (Holmes, 1980; Ogbu et Gibson, 1991). Sous l’effet de la mouvance cernée plus haut, le mandat des institutions éducatives face à la diversité est toutefois devenu nettement plus complexe (Mc Andrew, 2003a, 2005).

D’une part, en effet, en ce qui concerne le degré de pluralisme et le maintien des identités groupales, encore moins qu’autrefois, la résultante souhaitée ne fait pas aujourd’hui l’objet d’un consensus. Ainsi le vieux débat opposant les partisans d’une école commune, productrice de valeurs partagées et de sens civique et ceux du contrôle communautaire de l’éducation par des minorités nationales soucieuses de maintenir leur langue et leur culture, s’est aujourd’hui étendu à diverses minorités immigrées (Homan, 1992; Mc Andrew, 2003b). De plus, même chez les défenseurs du modèle normatif, aujourd’hui dominant, d’une école commune redéfinie dans un sens pluraliste, les débats sont nombreux quant à la place respective que devraient occuper les langues, cultures et valeurs du groupe majoritaire et des groupes minoritaires selon l’équilibre qu’on privilégie, d’une part, entre la promotion de l’égalité et de la diversité et, d’autre part, le respect du pluralisme et des limites mêmes qui rendent possibles son exercice (Marcil, 1991; Bourgeault et al., 1995). Dans divers contextes (Glenn et De Jong, 1996; Mc Andrew, 2001), les nombreuses et récurrentes controverses relatives à l’éducation bilingue, à l’enseignement de l’histoire, à la présence d’ethnocentrisme ou de racisme dans le matériel didactique ou à l’adaptation des normes et règlements aux exigences, réelles ou imputées, des religions témoignent de l’intensité des émotions que suscite la modification du curriculum formel et informel de l’école.

D’autre part, si l’égal accès aux bénéfices de l’éducation pour tous les élèves jouit, désormais, d’un fort appui normatif, il s’agit là d’un objectif exigeant et relativement récent, conséquent à l’établissement d’un système scolaire de masse à partir des années 1960 et de la montée de l’idéologie égalitaire en éducation, dans un contexte où l’imputabilité et la transparence des établissements scolaires sont à l’ordre du jour (Ravitch, 1999; Crahay, 2000). De plus, le manque d’études d’envergure empêche toute conclusion ferme, tant au plan national qu’international, sur l’état de la performance et du cheminement scolaires chez les élèves d’origine immigrée ou appartenant à des minorités nationales défavorisées, et surtout au poids respectif à attribuer à cet égard à divers facteurs, tels la classe sociale, le sexe, la maîtrise de la langue, le statut d’immigration, l’ancienneté d’implantation ou le degré de marginalisation historique (Gilborn, 1995; Anisef et al., 2004.). La réponse éducative aux problèmes vécus par certains groupes est donc encore largement définie à partir de l’analyse intuitive des décideurs, acteurs scolaires ou représentants des communautés concernées qui, malgré sa valeur, ne s’avère pas nécessairement exhaustive.

Depuis une quinzaine d’années, la titulaire a mené ou coordonné, par le biais de ses fonctions de directrice du GREAPE (1993-2004) et directrice (1996-2002) ou responsable du volet éducation (2002-2004) d’Immigration et métropoles, un vaste ensemble d’études fondamentales, appliquées ou comparatives, qui ont permis d’éclairer nombre des questions soulevées par cette problématique complexe. Le programme de la Chaire de recherche du Canada sur l'Éducation et les rapports ethniques s’inscrit dans la foulée de ces activités et plus spécifiquement d’un plan stratégique de développement de la Chaire en relations ethniques élaboré par la nouvelle titulaire en 2003, qui établissait un bilan critique des efforts menés et identifiait de nouvelles priorités, en fonction de l’évolution récente des problématiques québécoise, canadienne et internationale. Celles-ci portaient sur la nécessité d’étudier de nouveaux « marqueurs », comme la religion et la « race » dont les porteurs, notamment les jeunes Musulmans et les jeunes Noirs, connaissent des défis très spécifiques; d’accorder plus d’attention à la sélection et à l’égalité des chances, entre autres, en réaction à l’intérêt presque exclusif des médias et de l’opinion publique pour les enjeux relatifs aux conflits de valeurs et à la socialisation et, finalement, d’étendre les perspectives comparatives à des sociétés non occidentales, qui représentent près des deux tiers de l’humanité, et où le pluralisme en éducation suscite souvent des défis tout aussi importants qu’au sein des sociétés occidentales.